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Le chant d’amour de Marina Rebeka à la Thaïs de Massenet à la Scala de Milan


“…Et, lorsqu’elle prononce ses premiers mots « C’est Thaïs, l’idole fragile », nous sommes immédiatement saisis par la splendeur de l’instrument alors empli de douceur enjôleuse”

Cette nouvelle production de l’institution milanaise ne surprend guère pour la mise en scène, car Olivier Py y reprend ses antiennes habituelles. En revanche, la subtile direction d’orchestre de Lorenzo Viotti et Marina Rebeka, interprète principale d’exception, mènent la musique de Massenet sur des sommets extraordinaires.

By Paul Fourier

Le Teatro alla Scala a, cette année, confié à Olivier Py la première mise en scène de Thaïs en version originale (en 1942, l’opéra avait été donné en plein conflit mondial, en version italienne et ne fut jamais repris depuis). Tout, dans ce livret, dans les obsessions de ce moine échauffé – dont les raisons de convertir Thaïs sont moins religieuses qu’affirmées -, devait, en toute logique, convenir au metteur en scène français.
Paradoxalement, le résultat montre que le principal écueil résidait, en fait… dans cette adéquation trop évidente. Car demander à Py de traiter de sexe et de religion, c’est nous amener irrémédiablement vers des scènes de cabaret où, croix lumineuses et postures suggestives (des deux sexes dénudés) vont s’affronter.
C’est évidemment le cas ici, auquel se rajoute, dans la première partie, une trop grande propension à l’agitation permanente dans certaines scènes, et également, à des attitudes des acteurs parfois vraiment trop théâtrales.

Heureusement, le talent d’Olivier Py va au-delà de ses obsessions

Car la direction d’acteurs est irréprochable ; et sa direction s’appuie essentiellement sur les contacts physiques, déclinés en caresses lascives des dépravés ou en gestes violents d’Athanaël; mais ces corps à corps collent au propos comme aux caractères des protagonistes.

Le deuxième atout de cette mise en scène, ce sont, malgré les excès, des scènes d’une force incontestable dont les plus frappantes sont une méditation de Thaïs sublimée par deux des danseurs de la Scala avec deux immenses grandes roues comme arrière-fond, celle, quasiment hystérique, alors que se déchaînent les démons au troisième acte, et enfin, à la mort de Thaïs, ce squelette qui ferme toutes les portes laissant les deux personnages seuls en scène.

Marina Rebeka, toutes les Thaïs…

En janvier 2020, Marina Rebeka avait réalisé, à Monte-Carlo, la prise de rôle de la courtisane issue du roman éponyme d’Anatole France. Aux côtés de Ludovic Tézier et de Jean-François Borras, elle y était magnifique. Mais la soprano est une perfectionniste et il n’y a nul doute que depuis, elle a retravaillé la partition tant vocalement que dramatiquement…
Le résultat se révèle stupéfiant. Elle habite désormais totalement le personnage et lorsqu’elle apparaît, la première fois, dans le Palais de Nicias, toute de rouge vêtue, c’est d’abord l’adéquation physique de la femme avec l’ensorceleuse qui saute aux yeux. Et, lorsqu’elle prononce ses premiers mots « C’est Thaïs, l’idole fragile », nous sommes immédiatement saisis par la splendeur de l’instrument alors empli de douceur enjôleuse.

Thaïs, ce sont plusieurs femmes en une seule ; elle est la conquérante usant de sa beauté qui se moque d’Athanaël et de ses prétentions, elle est ensuite celle qui doute et enfin, bien sûr, la femme soumise à ce fou de Dieu (et fou d’elle) qui trouvera la délivrance dans sa mort. Marina Rebeka incarne, à la perfection, toutes ces femmes sachant, en première partie, déployer une voix large et darder ses aigus.
Mais, à ce stade de sa carrière, l’on sent que la soprano ne fait pas étalage de ses moyens considérables. Elle s’attache à plier cette voix puissante aux exigences du rôle et joue de son souffle pour nous éblouir de piani invraisemblables.
Dans un français aujourd’hui irréprochable, elle sait ainsi interpréter Thaïs dans toutes ses dimensions. Au troisième acte, lorsque le visage vierge de maquillage, elle prononce, dans un souffle, « Ton cœur a la douceur d’une aurore », l’on serait tenté de lui dire la même chose. Et les mots qui suivent flottent alors dans l’air comme le fait l’esprit de Thaïs épuisé par son voyage. Alors que vient « Dans la cité céleste, nous nous retrouverons », elle nous offre alors un aigu pianissimo littéralement sublime.

https://toutelaculture.com/spectacles/opera/le-chant-damour-de-marina-rebeka-et-de-lorenzo-viotti-a-la-thais-de-massenet-a-la-scala-de-milan/